Comme chaque année, juste après l’attribution des vrais prix Nobel, un groupe de scientifiques farceurs, également responsable d’un magazine satirique assez poilant, Annals of Improbable Results, décerne ses anti-prix, baptisés IgNobel.
Ces prix distinguent des recherches qui, sans être forcément de la mauvaise science, traitent de sujets invraisemblables, farfelus, absurdes ou sans le moindre intérêt apparent. Comme il ne s’agit pas d’une dénonciation, mais d’un épinglage humoristique, et que les prix IgNobel ont acquis au fil des années une sacrée réputation de rigolade garantie, la plupart des lauréats se rendent en personne à la cérémonie de remise des prix pour accepter leurs trophées de bon cœur.
Alors dévoilons le palmarès de cette nouvelle année. Encore une fois, des Français se retrouvent à l’honneur : le prix IgNobel de biologie est attribué à Marie-Christine Cadiergues, Christel Joubert et Michel Franc, chercheurs à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, pour une étude intitulée « Une comparaison de la performance en saut des puces de chien (Ctenocephalides canis) et des puces de chat (Ctenocephalides felis felis) ». Leur résultat, d’une portée historique incontestable : les puces de chien sautent plus haut que les puces de chat !
IgNobel de nutrition : Massimiliano Zampini (Italie) et Charles Spence (Royaume-Uni) pour leur article « Le rôle des indices auditifs dans la modulation de la perception du caractère croquant ou éventé des potato chips ». Les chercheurs ont modifié électroniquement le son d’un chip mâché pour faire croire au chipovore que la rondelle était plus fraîche qu’en réalité.
IgNobel de la paix : le Comité fédéral suisse d’éthique sur la biologie non-humaine pour sa publication « Considérations morales sur la dignité des êtres vivants concernant les plantes ». Conclusion : les plantes ont une dignité elles aussi. Réflexion personnelle : ce concept ne me semble pas si con que ça. Mais faut-il pour autant arrêter de tondre les pelouses ?
IgNobel d’archéologie : Astolfo G. Mello Araujo et José Carlos Marcelino (Brésil) pour “Le rôle des tatous dans le déplacement des matériaux archéologiques, une approche expérimentale. » Ils ont prouvé que le tatou (armadillo en anglais), animal fouisseur, peut désorganiser l’empilement des couches sédimentaires et poser un problème pour la datation archéologique des trouvailles dans telle ou telle couche du sol.
IgNobel de médecine : Dan Ariely, Rebecca L. Waber, Baba Shiv (USA) et Ziv Carmon (Singapour) pour avoir démontré, dans une des plus importantes revues scientifiques du monde, le J.A.M.A. (Journal of the American Medical Association) que les médicaments bidon commercialisés n’ayant aucun effet réel clairement démontré ont plus d’effet imaginaire (placebo) s’ils sont hors de prix que s’ils sont bon marché. A vrai dire, on s’en doutait un peu, mais cette démonstration risque d’inciter l’industrie pharmaceutique à augmenter encore ses tarifs déjà exorbitants.
IgNobel de science cognitive : Toshiyuki Nakagaki, Hiroyasu Yamada, Ryo Kobayashi, Atsushi Tero, Akio Ishiguro (Japon) et Ágotá Tóth (Hongrie) pour avoir étudié les performances des amibes et autres micro-bestioles dans le fameux “test du labyrinthe” appliqué d’ordinaire aux rats et souris. Conclusion : les amibes sont moins stupides qu’on ne croyait.
IgNobel d’économie : Geoffrey Miller, Joshua Tybur et Brent Jordan (USA) pour une étude qui prouve que les professionnelles de la danse du ventre reçoivent plus de pourboires lorsqu’elles sont en période d’ovulation. Mine de rien, cette recherche révèle une donnée intéressante : les mâles humains possèdent bel et bien (comme tous les autres animaux) une perception de l’état de fécondité des femelles. Par quel biais, on l’ignore encore.
IgNobel de physique : Dorian Raymer et Douglas Smith (USA) pour « La formation des nœuds dans une corde agitée », des expériences montrant que lorsqu’on secoue vigoureusement des mèches de cheveux, fils, ficelles ou cordes, celles-ci s’enchevêtrent inévitablement et forment des nœuds.
IgNobel de chimie : Sharee A. Umpierre (Porto-Rico), Joseph A. Hill et Deborah J. Anderson (USA) pour avoir prouvé que le Coca-Cola exerce un effet spermicide. Ce prix est partagé avec Chuang-Ye Hong, C.C. Shieh, P. Wu, et B.N. Chiang (Taiwan), qui, eux, ont montré que le Coca-Cola et le Pepsi-Cola n’ont pas d’effet spermicide !
Ces deux recherches contradictoires s’inspirent d’une pratique bien réelle : dans les années 1950 et 1960, en l’absence de contraception disponible, les jeunes filles ayant fauté se lavaient le vagin avec du Coca ou du Pepsi en pensant que l’acide carbonique contenu dans ces breuvages détruirait les spermatozoïdes. A l’époque, le groupe rock satirique et libidineux The Fugs en avait fait une chanson, « Coca-Cola Douches ».
La liste détaillée des lauréats, de leurs publications et de leurs laboratoires ou universités, ainsi qu’une vidéo en QuickTime de la cérémonie de remise des prix figurent sur le site des IgNobel (http://improbable.com/).